Va-t’en donc te faire moine, t’auras meilleure bectance !


Merci à Babelio et à Masse critique pour la découverte de cet ouvrage pas banal !
L'histoire promet d'être intéressante et de lever le voile sur un pan plutôt méconnu de notre histoire, les révoltes paysannes dans l'Est de la France au XVIe siècle, au moment de la diffusion des idées protestantes


Quelques jours plus tôt, Frau Troffea avait eu dispute avec son mari qui voulait civet de lièvre et avait recraché le gruau quotidien au visage de sa femme. « Et avec quel argent avictuaillerais-je encore la maisonnée ? lui avait crié la commère, la seule épaisse venaison que je puisse t’apprêter c’est une fricassée de dettes, et le dernier schilling tu l’as engorgé avec des pots de bière ! Va-t’en donc te faire moine, t’auras meilleure bectance ! » Le mari n’eut pas le temps de se lever pour l’embourrer de coups que Frau Troffea avait claqué l’huis et était partie dans la rue où elle dansa de colère et de faim, l’estomac vide. Si sa colère s’estompa au bout d’un moment, sa danse désordonnée continua de plus belle, elle ne pouvait plus s’arrêter. Plus elle giguait sans cadence, plus elle était emportée, ses membres ne lui obéissaient plus. Se cognant à droite et à gauche dans les ruelles, se râpant les bras, s’écorchant les pieds, perdant ses socques, elle n’en virageait pas moins, tortillonnait dans tous les sens, le visage contracté, les yeux vides, le cou arqué vers le ciel. Gagnés on ne sait comment par la danse morbide, ils furent cinq puis dix hommes et femmes à danser tous les jours jusqu’à s’effondrer d’épuisement, restant dormir à la place où ils étaient tombés si personne ne les portait chez eux. Au bout de la semaine, ils étaient plus de cinquante. Ceux que Gerson avait vus place des marchands de bois étaient contenus par la ceinture de badauds qui les entouraient, mais c’était de tous côtés de la ville que jaillissaient maintenant ces groupes de fols dansants, insoucieux des lieux, des gens, indifférents à la chaleur, à la faim, à la soif et à la douleur.
pp. 92/93

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