« une curieuse fable pleine de ruse et de faconde »

Un redoutable tueur en série et criminel sexuel s’est-il introduit subrepticement au cœur de la respectable institution scolaire de la Mère-Dieu, fleuron pédagogique du département, fréquentée par la plupart des enfants de notables ou de cadres supérieurs des environs, mais aussi, comme le déplorent certains, par toutes sortes de démunis, au nom d’on ne sait trop quelle mixité sociale ou charité chrétienne ? C’est ce que nous inciteraient à croire les premières lignes de cet Ange gardien, publié en 2017 chez Lunatique, le nouveau court roman de Raymond Penblanc, trois ans après l’intense tempête sous un crâne de Bref séjour chez les morts et deux ans après l’ode à la gloire ambiguë de l’imagination enfantine de Phénix. Rapidement rassurés par la voix explicative du narrateur, vieil homme de peine du collège, soigneusement blanchi sous le harnais, la lectrice ou le lecteur découvriront dès le paragraphe suivant ou presque que l’impétrant était en fait professeur de français et de latin au sein de l’institution, qui semble vivre des heures essentielles depuis quelques temps.

Autour de cet homme-à-tout-faire plus insolite qu’il n’y paraît d’abord, autour de sa haine inexpiable pour les pies et autres assimilés oiseaux charognards, autour de ses rituels maniaques ayant trait à sa remise et à ses outils, autour de sa passion pour la peinture, religieuse ou profane, autour de sa veille aussi jalouse que discrète à propos de ses prérogatives, autour de ses relations complexes et contrastées avec le corps administratif ou enseignant de l’institution, qu’ils aient nom Hérode, Barilla, Tibère, ou bien Julie Moll, Edwige Laïus, père Blache, autour de sa fascination pour le feu, seule issue sérieuse au problème des feuilles mortes, autour de sa rude amitié avec son adjoint et suppléant John Bull, Raymond Penblanc tisse une curieuse fable pleine de ruse et de faconde, oscillant entre l’humour potentiellement noir du Claude Chabrol des exploits de l’inspecteur Lavardin et la retenue poétique et taiseuse du Pierre Michon des Vies minuscules.
C’est pourtant dans le creuset d’une presque-amitié avec l’un des élèves, taciturne lui aussi, oscillant peut-être entre son destin de gardien de football et celui de chanteur lyrique, amitié méfiante, bourrue et rageuse, fragile aussi, qui se teinte de l’une de ces complicités dont Ernst Jünger, dans Abeilles de verre, disait qu’elle permettait d’aller voler des chevaux ensemble, que Raymond Penblanc parvient à inventer toute la beauté d’une sorcellerie mystérieuse, où le ressassement et le désenchantement si perceptibles, qui pourraient en d’autres circonstances mener, encore, au meurtre et à l’effroi, se muent en une étrange et troublante poésie crépusculaire, catalysée par les coups du sort, petits ou grands, qu’ils prennent la forme d’une bénigne fracture du bras ou d’un tragique incendie accidentel.



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