« Mon père s’emmerdait tout autant que nous à la synagogue »

Samedi matin, le jour idéal pour publier un extrait de Ma (dé)conversion au judaïsme, de Benjamin Taïeb, où il est question de... samedi matin.

Nous rendre à la synagogue impliquait qu’on n’allât pas à l’école le samedi matin. Or, dans les années 1980-1990, la grande majorité des collèges publics parisiens dispensaient des cours le samedi. Chaque année, mes parents devaient donc, cédant aux instances des rabbins, produire un certificat prouvant que mon frère ne travaillait pas le shabbat au collège, et, en amont, requérir du proviseur qu’il fût dans l’une des rares classes à ne pas avoir cours ce jour. Jusqu’à la conversion de mon frère, mes parents ont dû batailler pour obtenir cette faveur, de sorte que, probablement usés par ces démarches, renouvelées d’année en année, de la 6e à la 4e, ils décidèrent que j’irais quant à moi dans un collège où nul cours, dans aucune classe, ne serait donné le samedi. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans un collège nettement moins bon que celui de mon frère (bien qu’il s’y trouvât d’excellents professeurs), pour la seule raison qu’il serait de ce fait plus facile de montrer patte blanche au Consistoire, avec comme perspective, immédiate et certaine, ma présence assidue à la synagogue.
Je m’ennuyais à la synagogue autant qu’au Talmud Torah. J’espérais tous les samedis que mon père renonçât à y aller, ou fît la grasse matinée jusqu’à tard, de façon que l’on n’y restât qu’une heure. Mon père s’emmerdait tout autant que nous à la synagogue, plus encore même, car nous pouvions au moins suivre la prière sur un livre, pas lui (quoiqu’il apprît des rudiments d’hébreu). Son oreille de musicien lui permettait de balbutier quelques mots ici ou là, de réciter la prière des morts et de scander des tonitruants «Amen!», façon démonstrative et bruyante de proclamer sa foi au bon moment, comme les amateurs de musique classique savent applaudir ou tousser entre deux morceaux. La voix forte de mon père m’a toujours embarrassé. Je ne voyais pas l’intérêt de nous faire remarquer parmi les fidèles, dont on peut supposer qu’ils partageaient nos convictions religieuses, et il me semblait qu’une croyance clamée si haut dût s’accompagner d’un minimum de savoir.
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