Une calme tempête sous un crâne approchant de la mort minérale
« D’un
calme feutré légèrement hallucinant, le texte de Raymond Penblanc élabore
en moins de 30 pages une subtile et émouvante tempête sous un crâne
se voyant condamné, jouant avec habileté de la métaphore de la
minéralisation pour confronter l’environnement imaginaire d’un
Dr.
House ou
d’un Grey’s
Anatomy,
ce silence hospitalier supposé bienveillant et cette activité
soignante parfois bien désespérée, à tout ce que la proximité
obligatoirement assumée de la mort fait émerger de substrat
religieux et mythologique, qui se glisse avec fougue ou même rage
(bien que contenue) dans chaque interstice de conscience.
« Texte
d’une extrême clarté en même temps que tentative d’écrire une
maîtrise in extremis du désespoir qui saisit à l’approche de ce
« séjour » redouté, Bref séjour chez les morts propose en effet une singulière et puissante
expérience. »
Hugues Robert, libraire
Hugues Robert, libraire
Ça vaut bien deux extraits, non ?
Encore
revêtu de son blouson de motard, son casque sous le bras, l’interne
se présenta le lendemain matin, sans avoir pris le temps de passer
par le service, et le malade en fut touché. Cet empressement à le
visiter avait pourtant sa contrepartie. Il signifiait qu’il n’était
pas nécessaire d’avoir enfilé sa blouse sacerdotale pour faire ce
qu’il avait à faire, c’est-à-dire rien. Évitant de commenter
les progrès de la maladie, l’interne se contenta d’inviter son
patient à lui serrer les doigts, et leurs regards se croisèrent.
L’image d’une falaise dut s’imposer à chacun avec la même
évidence, le rôle endossé par chacun également. L’un avait
glissé dans le vide, il allait s’écraser en bas si la main que
l’autre lui tendait spontanément ne le retenait pas. Et, s’il
n’y avait aucun risque de voir le premier entraîner le second dans
sa chute, chacun dut y songer en même temps, car d’un commun
accord leurs doigts se délièrent, et le malade se laissa retomber
sur sa couche avec d’autant plus d’accablement qu’il avait
conscience de ne pas avoir encore touché le fond.
La
nuit suivante, il fit un cauchemar. Son rêve ne racontait pas
quelque chose de précis, et ne se déroulait pas non plus dans un
lieu très précis. Simplement, il avait dû tomber très bas et être
condamné à croupir au fond de son trou pendant le restant de ses
jours, conjuguant la déréliction du Christ avec l’accablement de
Sisyphe. Or il était parfaitement réveillé et ne le réalisait
pas. Lorsque l’infirmière de nuit fut parvenue à le lui faire
admettre, il en déduisit que non seulement il était entré dans un
temps infini, mais que ce temps infini devenait du même coup celui
d’une souffrance éternelle. Il dut attendre qu’un massage
intensif des pieds et des mains lui permette d’oublier la prison de
son corps pour que les ombres funestes consentent à s’estomper.
Heureusement, l’infirmière de jour était en avance ce matin-là.
L’infirmière de jour était à l’infirmière de nuit ce que, par
nature, le jour est à la nuit, son double inversé. Dans la chambre
nue, sa présence rayonnait. Elle passait pour avoir guéri les
scrofuleux, remis d’aplomb les contrefaits, fait marcher les
paralytiques, arraché quelques moribonds à la mort. Elle se
couchait contre eux et les massait longuement, sans crainte et sans
répugnance. Deux petites rides verticales lui barraient le front,
qui tantôt se fermaient comme des parenthèses, tantôt s’écartaient
comme deux petites ailes.
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