« Alors ? Dieu, ou le Diable ? »


Jeanne est née en 1918 en Bretagne sud, dans la campagne à une heure de Quimper. Une grande sœur Marie qui meurt à 18 ans marquant à jamais la petite Jeanne, un grand frère, une petite sœur et un petit frère. Le père meurt aussi, deux ans plus tard, laissant sa mère seule pour élever les quatre enfants qui lui restent. Ce n’est pas la misère ni l’abondance, la famille est unie et aimante, ce qui permettra de surpasser ces tragiques événements. Puis la guerre arrive, celle de 39/45, pas aussi terrible dans cette région la plus à l’ouest de l’Europe. Jeanne travaille jeune pour aider sa mère. Elle tombe amoureuse de Christophe juste avant la guerre. Elle en sera éloignée plusieurs mois. Même taiseuse, en bonne Bretonne, Jeanne vit, Jeanne sourit et rit et Jeanne aime.
Très beau roman de Raymond Penblanc dont j’ai déjà beaucoup apprécié Phénix, lui aussi sur l’enfance. Je ne connais pas les proportions entre la fiction et la biographie de Jeanne, maman de Raymond, mais tout est tellement crédible qu’on a envie de croire à la réalité de cette histoire, entièrement. On peut se projeter aisément dans ce récit, pour moi ce serait plutôt mes grands-parents, ruraux, à peine plus au sud que Jeanne (limite Ille et Vilaine/Loire inférieure comme on disait à l’époque). Raymond Penblanc parle du poids des traditions, de la religion omniprésente dans le pays, culpabilisatrice : les enfants sont élevés et grandissent dans la peur du péché : « C’est péché, péché, péché. Le monde est bien trop vaste, bien trop compliqué, et elle est bien trop petite, incapable de rien comprendre. Une fille, un garçon, une fleur, un animal, chacun doit demeurer à sa place, à chacun son rôle comme à chacun son dû. » (p.29) Alors une petite fille qui regarde des garçons, tout à fait innocemment se pose des questions et craint les réponses. Le Diable est présent, autant que Dieu : « Alors ? Dieu, ou le Diable ? On l’avait oublié celui-là. Qu’il ne t’inspire pas surtout, qu’il ne te pousse pas à t’écarter du droit chemin. » (p.29) La tradition, c’est aussi la différence de classe sociale : le fils du directeur de l’usine, même du même âge est infréquentable. Mais Jeanne sait aussi rire avec ses amies et insouciance, notion qui manquait beaucoup à l’époque.
Raymond Penblanc raconte l’histoire de Jeanne avec beaucoup de tendresse et d’amour. Son texte est d’une qualité rare, dénué de toute méchanceté, le style n’est pas moderne -tant mieux, cela aurait gâché le plaisir de lecture et limité le jaillissement des souvenirs personnels-, plutôt classique, intemporel et beau. Poétique, drôle, léger, dur, violent, élégant, admirable, émouvant, plaisant, mélancolique, séduisant, bath, … je pourrais aligner encore plus d’adjectifs, comme l’éditeur (Lunatique) le fait joliment sur sa page d’accueil.
Ce roman est aussi celui de la passion pour la lecture d’abord puis pour l’écriture. Comment la famille et l’éducation permettent d’écrire et comment l’écriture permet de rendre hommage à ceux qui ont permis que cette passion puisse éclore. Une parenthèse de douceur, de simplicité et de beauté littéraire.
Pour finir, si vous n’êtes pas convaincus, écoutez ces deux extraits lus par Raymond Penblanc et sa fille :


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