« Il s’est contenté de se retourner sur sa chaise et de lui enfoncer la pointe de son stylo dans l’œil. »
« Il
a toujours tenu à garder le stylo, un petit Bic bleu à pointe fine,
désormais rangé dans le tiroir de son bureau. Pas un talisman, loin
de là, mais un témoignage, témoignage cruel qu’il lui arrive
aujourd’hui encore d’interroger. Non pour essayer de comprendre.
Il n’y a rien à comprendre. Un stylo n’est pas un objet bizarre,
un outil compliqué, ça n’est pas non plus un poignard, ou un
pistolet. Bien sûr, on peut s’en servir comme d’une sarbacane,
et souffler de petites billes qui peuvent faire très mal dès lors
qu’elles viennent cingler le visage ou le cou. Franck, le garçon
assis devant lui dans la classe, âgé de cinq ans comme lui, n’a
pas agi ainsi. Il s’est contenté de se retourner sur sa chaise et
de lui enfoncer la pointe de son stylo dans l’œil. »
°°°°°
°°°°° °°°°° °°°°° °°°°°
« Il
n’ose l’attraper par l’épaule, ou par la taille, comme le font
les grands, les affranchis. Ce geste de possession lui répugne. Il
hésite à lui saisir la main, c’est un peu puéril et d’ailleurs
trop tôt. Les musiques, les stridences, les détonations, les
lumières et les couleurs l’aveuglent et l’assourdissent, il
songe au Big Bang et se prendrait volontiers pour Adam, confiant à
Sarah le rôle d’une Ève collée à ses basques au cœur du
Paradis
terrestre. Il a son idée, sa stratégie, sans démon et sans pomme.
Autos tamponneuses pour commencer, chenille ensuite, plusieurs tours
à chaque fois. Elle est d’accord, et, comme elle est d’accord,
elle rit. Et comme elle rit, ses seins tressautent. Il aime ça. Une
main à tendre, des doigts à ouvrir, qu’est-ce qu’il risque ? »
Histoire
courte, Œil-de-lynx
a
tout du grand roman : un héros solitaire, touchant et volontaire,
des sentiments, de l’action, des sourires et des pincements de
cœur. Un condensé de chef-d’œuvre qui aurait aussi bien pu avoir
pour titre Le
Rose et le Noir ;
le rose symbolisant la candeur enfantine du personnage, le noir le
tragique de l’histoire.
Pascal
a cinq ans quand un camarade de classe lui plante un Bic dans l’œil.
Drame stupide autant qu’incompréhensible, que le petit garçon
surmonte à coups de promesses et de sentences à la moralité féroce
: «
Mieux vaut perdre la vue que la vie. Et, à cinq ans, on a encore
toute la vie devant soi. »
Adolescent,
Pascal succombe aux doux rêves, à la tendresse et à la cruauté,
ingrédients de toujours des histoires d’amour. Celle d’Œil-de-lynx
ne
déroge pas à la règle, et Raymond Penblanc se révèle habile
joailler, enchâssant d’une plume experte chacun de ses mots dans
une phrase ajustée aux tourments de son jeune héros.
L’écriture,
vive et pénétrante jusqu’à l’insolence, exerce sur le lecteur,
consentant, une imparable attraction. Elle l’ébranle au plus
profond et en appelle à son imagination, à sa compassion... ainsi
qu’à son sens de l’humour, si tant est que l’on puisse rire de
l’ironie du sort de Pascal, à défaut d’en pleurer.
Commentaires
Enregistrer un commentaire