« Et tu te fais deux promesses, deux promesses de petite fille, que tu oublieras forcément »

On ne sait pas grand-chose de Petite Fille, sinon qu’elle a atteint l’âge où les ours en peluche disparaissent sans regrets de la chambre à coucher, et où l’on accourt à la cuisine lécher la casserole de chocolat.
Petite Fille s’accroche à l’enfance comme une goutte de pluie sur une vitre sale, de l’autre côté ; car son histoire ne lui appartient pas vraiment. Elle se fait voler la vedette par Béatrice et le Père, dont les éclats de vie se plantent douloureusement dans son enfance, y laissant des marques indélébiles.
Toute l’histoire de Petite Fille se construit sur la dualité : les adultes/les enfants, Béatrice/le Père, l’appartement parisien/la chambre d’hôtel au bord de la mer, la réalité/l’imaginaire, confrontant sa jeune héroïne à l’impossible choix de rester une enfant ou de grandir.
Charlotte Monégier a composé un roman troublant, poétique et profond, comme cette mer qui fascine tant Petite Fille. Par petites touches délicates, sans un mot plus haut que l’autre, elle ébauche le portrait de Petite Fille et dépeint tout ce qui fait son monde. Moments fugaces et destins cruels s’exposent, par la grâce de son écriture, réalistes, touchants et néanmoins insaisissables, comme dans la vie.

« Vers trois heures du matin, Le Père rentre enfin. Il cogne fort contre la porte, mais Béatrice a tout verrouillé, blessée d’avoir préparé son dîner pour rien, d’avoir été prise, une fois de plus, pour un accessoire de pacotille, un corps délaissé qu’on ne caresse même plus des yeux. Elle avait dressé la table et acheté quarante bougies de toutes les couleurs, et celle du milieu ne devait jamais s’éteindre. Comme si les instants pouvaient ne jamais s’éteindre. Toi-même, Petit Fille, tu as compris ça depuis longtemps : tous les instants s’éteignent, et ce n’est pas une baguette de cire chauffée sur le dessus, achetée dans une quelconque boutique de quartier, qui pourrait te faire changer d’avis. 
Les détails de ce soir-là restent flous – une scie électrique tentant de découper le loquet d’acier qui retient la porte, des bleus sur le visage de Béatrice, Arthur en pyjama et la bouteille de whiskey. Un whiskey fort, sucré, écœurant, que Le Père disperse partout depuis des semaines avant d’aller s’effondrer sur le canapé. Tu fais maintenant semblant de dormir, le réveil marque trois heures vingt. Et tu te fais deux promesses, deux promesses de petite fille, que tu oublieras forcément : ne jamais boire d’alcool et te réveiller chaque nuit à cette heure-là, à trois heures vingt précises, pour te souvenir. »
pp. 26/27

Commentaires