« Et tu écrivis qu’elles furent bonnes ces petites cigarettes fumées sur un bout de trottoir... »

« – Tu as l’air triste, Petite Fille. Prends une cigarette, ça ira mieux.
Tu levas des yeux étonnés vers lui : c’était le vieux au chat obèse.
 N’aie pas peur de moi.
Il soupira, puis partit comme un mirage vers la banlieue, cette aire brute aux airs glauques, avec ses immeubles fatigués et ses adolescents aux casquettes protectrices. Le vieux avait laissé la fin de son paquet de cigarettes, avec un briquet. Tu regardas le tout avec dégoût, et puis la curiosité fut trop forte. Tu voyais tes parents fumer depuis des années. Donc tu essayas. Il en restait seize dans le paquet. Tu les fumas toutes. Chacune fit naître d’étranges sentiments en toi, une impression de légèreté, puis de disparition, de suicide calculé, contrôlé, délicieux, bouffée après bouffée. Une façon de disparaître toute mesurée. Une fois le rituel achevé, tu sortis ton carnet et pris un stylo, les doigts tremblants, pleins de sensations nouvelles. Et tu écrivis qu’elles furent bonnes ces petites cigarettes fumées sur un bout de trottoir, avec en tête ce train. Ça filait droit vers La Courneuve, ou vers l’Allemagne peut-être, sans coup de frein, sans rien du tout d’ailleurs, avec autour des passants portant, las, des gueules de caniveaux qui t’émurent. »

pp. 38/39

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