Encore quelques semaines avant la parution de La toute petite fille monstre, d'A. Nebojša, tout juste le temps de faire la connaissance de son héroïne, la troublante Monika.
Rivière
Save
Monika
regarde depuis les bords de la Save le pont encore intact. Il est
tôt. Elle sautille d’un pied sur l’autre. Elle attend la
détonation avec impatience.
Goran
a travaillé tout la nuit aux côtés de son unité. Elle l’a à
peine vu.
Elle
imagine les familles qui se réveillent, les grand-mères qui
ramassent leurs cabas. Il doit y avoir du monde dans les rues. Elle
se mord la lèvre inférieure.
Il
y a une vraie chronologie lors d’une explosion. D’abord, une onde
terrible. Un tremblement du sol sous les chaussures, une vibration
qui gagne les chairs, remonte le long des jambes et se répercute
derrière chaque côte. Le temps se déforme. Les yeux
s’écarquillent. Ensuite, il y a la lumière. Très blanche.
Puis
rouge quand l’air commence à s’enflammer. Le souffle atteint les
corps. Ils comprennent.
C’est
à ce moment-là que le déluge s’abat. Des pierres volent. Des
plaques de métal sifflent. Il n’y a plus rien sous les pieds.
Est-ce que les hommes ont appris à voler ou bien est-ce le monde qui
se dérobe et implose ?
Monika
retient un cri. Elle n’a plus du tout froid. Elle a entendu le
bruit. Elle a senti le souffre et le fer en fusion. Elle a vu les
gerbes de feu et le pont s’affaisser.
Les
bombes devaient être puissantes : des barres entières de ferraille
sont allées s’écraser des centaines de mètres plus loin,
soulevant des nuages de poussière dans la ville.
Elle
ne réalise pas tout de suite que, au milieu des gravats tombant dans
la Save, il y a des corps. Mais le courant pousse les premiers vers
elle. Elle regarde passer les radeaux de chair.
Et
puis le cadavre d’une femme vient se prendre dans les branches près
du rivage. Monika se précipite dans l’eau.
La
violence du débit de la rivière la repousse. Elle lutte ; elle a
trop envie de voir. Elle tend le bras. Sa main effleure la peau
inerte. Elle est douce et chaude ; il n’y a pas plus de réaction
que si elle avait touché un bout de bois.
pp.
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