Nouvel extrait de La toute petite fille monstre d'A. Nebojša.
La
planque est sombre. Trois pièces à la limite du sous-sol. Le jour
peine à y entrer. Pour être efficace, il lui faudrait un passage
plus large que les minuscules lucarnes encrassées. Le propriétaire
est un homme bourru, rond, le visage mou, la barbe hirsute. Il porte
de vieux vêtements élimés aux mailles élargies. Les yeux fatigués
tournent dans leurs orbites, ivres.
Il
rentre tard le soir, puant le goudron. Quand il ouvre la porte, les
grondements de l’extérieur dérangent le silence et la solitude
grâce auxquels Monika survit faiblement.
Il
s’assied, la chaise grince sous son poids. Il pose devant lui un
petit verre sur les rebords duquel le tartre dessine des sillons
poussiéreux.
Il
débouche une bouteille de rakia, remplit le petit verre
bruyamment et avale d’un trait. Claque de la langue. Ferme les yeux
pour mieux jouir de la brûlure du liquide râpeux. Il se sert une
seconde rasade qu’il boit cette fois-ci à petites gorgées
pressées, comme une enfant téterait un biberon de lait.
Il
repose avec fracas le verre sur le bois de la table, se frotte les
cuisses en balançant le buste d’avant en arrière. Il allume la
télévision, se concentre sur les nouvelles en secouant la tête. Il
grogne. Il éteint.
Enfin,
il daigne adresser la parole à Monika, prostrée sur un vieux
matelas défoncé jeté à même le sol dans un coin.
« Ces
internationaux, ils comprennent rien. Ils le trouveront pas,
Karadzic. C’est un héros, il y a mille personnes pour le
cacher ! »
Il
crache par terre pour ponctuer sa phrase.
Monika
ne lui répond pas. Elle s’en fout de Karadzic.
Depuis
qu’elle est arrivée à Belgrade, la vie l’a quittée. Elle ne
mange plus, ne dort plus. Elle reste là, à fixer le plafond. Elle
ne pense pas. Elle s’écoute respirer. Rapidement, comme un animal
blessé attendrait de retrouver enfin ses repères. Mais il n’y en
a plus. Monika n’est pas blessée. Sa souffrance n’a ni siège ni
origine. Elle est impossible à apaiser.
Elle
est perdue, indécise. Lâcher prise et se fondre dans ce grand noir
confortable qui l’attire ? Ou refaire surface, se raccrocher ?
Oui, mais à quoi ?
pp.
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