Maurice

Nadine Janssens nous marmonne une première histoire, tandis que Maurice nous offre un premier silence.

Le premier silence de Maurice tomba il y a tout juste cinq mois. Très exactement le 23 décembre. Maurice petit-déjeunait avec Valéry. J’avais quant à moi déjà avalé ma pitance et sommeillais dans l’attente du départ imminent. Valéry lui demanda où nous allions et Maurice écarquilla ses yeux. De sa bouche, encore entr’ouverte, pendouillaient quelques mies de pain beurré. Les sons tournèrent autour de sa glotte mais seules un peu de salive et d’écume jaillirent, lui mouillant les commissures. Valéry détourna le regard et décréta que le Jardin Botanique accueillait une exposition d’art floral sans aucun doute exceptionnelle. Quand Maurice, muet déjà, tendit la main vers moi, j’étais loin.
Le deuxième silence de Maurice intervint en février, peu après une orgie de crêpes et alors que nous nous trouvions dans le bus. Nous avions pris le 23 afin de nous rendre au centre-ville. Valéry grommelait, comme à son habitude, et c’est sans doute cette circonstance qui l’empêcha de prêter l’oreille au silence qui explosa à ras de plancher. J’étais bien placé pour observer la scène et me targue d’avoir tout vu : la botte au bout carré, hérissée de métal. Le claquement sourd du talon dans l’allée centrale. L’imperceptible hésitation face à la sandale de vieux cuir marron de Maurice, ses orteils, ses cors et ses trois poils dressés sur la phalange supérieure de chacun de ses doigts de pied. Le frémissement, l’hystérie, l’élan ravageur. Cependant, les os du pied gauche de Maurice – le pied côté couloir – furent les seuls à rugir ; ses yeux demeurèrent clos et ses lèvres inertes.
Mais derrière le silence des paupières je jure avoir surpris le bruissement de la peur. La même qui fit craquer les intestins de Maurice, le précipitant vers le néant des W.-C. pendant les heures et les jours qui suivirent.
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