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Pour avoir longtemps rêvé d’Auguste, Marianne aurait pu dessiner les yeux fermés les arêtes droites de son visage et le mouvement froufrouteux de ses cheveux… C’était un bel homme bien fait qui ne manquait pas d’esprit ; « un vrai gentleman », comme le répétait souvent Mme Desronces, qui n’avait pourtant pas le compliment facile. Marianne était folle d’Auguste, ravagée par un amour trop grand pour elle, qui mettait son coeur à terre et le laissait pantelant.
Elle n’était pas jolie sans pourtant être laide. « C’est un petit oiseau frêle qui se prend les pattes dans tous les tapis », ajoutait Mme Desronces, dont elle était la pupille. « Elle pourrait rire, s’amuser ou au moins faire semblant… mais non, elle se traîne là avec sa mine sombre qui l’enlaidit. »

Marianne savait qu’elle n’était généralement pas la bien­venue dans le petit salon de Mme Desronces. Mais, après tout, qu’importait cette vieille femme qui ne parlait des autres qu’avec envie ou méchanceté ? Rien ne comptait plus qu’Auguste. Elle l’aimait vraiment.
Je me souviens de son isolement, de sa façon de vivre seule dans son corps retranché.
Car c’était là sa folie de femme amoureuse, son obsession qui l’étouffait et la comblait à la fois : prisonnière d’un homme qu’elle n’embrassait qu’en rêve, elle le sentait près d’elle, le sentait la toucher du bout des doigts. Alors, elle gémissait avant de se réveiller seule en nage dans son lit. Il la traitait avec une douceur attentionnée quoique mélancolique, qui était pour elle un objet de ravissement et de haine.

Deux filles tristes, pp. 15/16

Extrait du recueil de nouvelles Il faut prévenir les autresde Sarah Taupin

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